Ils sont locataires mais se sont impliqués dans la réalisation de leur logement, depuis la conception. Ils gèrent aussi eux-mêmes leur immeuble. Bienvenue dans une coopérative d’habitants, à Lausanne.
«La propriété privée, ça ne nous fait pas rêver!» lance Steven Piguet, 38 ans. «Pourtant, on ne voulait plus être locataires. Trop de problèmes relationnels avec les agences», complète Pauline Graff, sa compagne de 34 ans. Ni propriétaires ni tout à fait locataires, Steven et Pauline viennent d’emménager avec leurs deux fillettes dans une coopérative d’habitants de Lausanne, dans le quartier de Chailly.
«Ce qui nous tient à cœur, c’est de nous intégrer dans le quartier. Je souhaite qu’on puisse ouvrir nos projets aux habitants des immeubles voisins», avance Steven. Avec sa compagne, Pauline, et leurs deux filles, Olga et Elsa, ils ont emménagé au 3e étage de l’un des deux immeubles coopératifs de Chailly. «Nos familles sont surprises de savoir qu’on connaît déjà tous nos voisins!» s’amuse Pauline.
Inaugurés en juin dernier, les deux petits immeubles labellisés MinergieEco ont été réalisés par la Coopérative de l’Habitat Associatif (Codha). Projet-pilote de la Ville de Lausanne, ils comptent un studio et 13 appartements de 3,5 à 5,5 pièces, mais aussi une chambre d’amis indépendante partagée, une grande salle commune, un projet de potager collectif…
Ils se connaissaient avant de devenir voisins
Les 42 habitants, dont 18 enfants de 0 à 11 ans, se connaissaient avant de devenir voisins. Ensemble, ils ont participé à l’élaboration des espaces privés et communs, au choix des sols (chape de ciment vernie), des plafonds (bruts de décoffrage) et des équipements (tous identiques, par mesure d’économie). «Une des spécificités de ce projet est d’avoir été initié par les habitants eux-mêmes. Quatre d’entre eux sont même impliqués depuis 2008», détaille Dario Taschetta, architecte responsable de la maîtrise d’ouvrage à la Codha.
Alain Kilchenmann et Audanne Comment, 37 et 43 ans, font partie de ces pionniers. «On est investis dans ce projet depuis huit ans», précise Alain, attablé face aux baies du salon largement ouvertes sur un large balcon et le Léman. «Aujourd’hui, ce qui était théorique prend une forme concrète. On entre dans le vivre ensemble. Ces bâtiments ont été conçus pour favoriser les rencontres et les échanges.» De fait, les entrées sont situées au milieu des deux immeubles, tout comme la salle commune, équipée d’une cuisine. Les balcons traversants courent d’un appartement à l’autre, sans séparation.
«Le sol des appartements est une simple chape de ciment, poncée et protégée avec un vernis. Un choix économique, mais aussi écologique, approuvé à l’unanimité», expose Alain, président de l’Association des habitants. Sa compagne, Audanne, souligne: «On a plein de projets pour faire vivre les lieux! Chaque jour, on échange déjà cinq ou six courriels entre voisins pour les partager.»
«On vit chacun chez soi»
Pour Audanne, la coopérative participative évite les crispations de la propriété par étage (PPE). Résoudre les problèmes entre voisins au cours d’une séance plutôt que par un courrier à la régie relève, selon elle, d’une démarche expérimentale. Pour autant, pas question de vie communautaire. «On vit chacun chez soi» souligne la jeune femme. «Ici, chacun a sa vie. J’ai déjà vécu en communauté. C’est plus simple dans un immeuble comme celui-ci. On voit les gens quand on en a envie», abonde Josette Pellet.
«Je vivais en Lavaux. C’était grandiose, j’aimais les vignes, mais l’environnement sociopolitique ne me plaisait pas. Je me sentais isolée de tout. J’avais envie de convivialité, de projets collectifs et d’échange de compétences» Josette
Après la séance photo qui a rassemblé quelques habitants dans la cour, c’est elle qui nous reçoit autour d’un café, dans les effluves d’une fleur de lys qui trône sur l’îlot de sa cuisine. Les livres remplissent plusieurs bibliothèques. Aux murs, des tableaux, au sol, plusieurs sculptures, dont un immense oiseau totem en métal, qui semble veiller sur nous. Partiellement retraitée, Josette a trouvé ici la convivialité qui lui manquait en Lavaux. Elle fait partie des quelques seniors qui se sont lancés dans l’aventure de la coopérative de Chailly, occupée par une majorité de familles. «C’est plutôt sympa, tous ces enfants, poursuit Josette. Il faut s’apprivoiser, c’est comme avec les adultes. Pour moi, un des défis est de vivre la mixité générationnelle. Passé 60 ans, votre parole compte moins. Vous disparaissez socialement, même si vous travaillez encore…»
De 0 à 82 ans
Les habitants sont de tous les âges – la doyenne, Julianne, a 82 ans –, mais, sur le plan social, c’est l’homogénéité qui domine. Ils ont plutôt des diplômes universitaires et tous ont la capacité de payer 250 à 260 francs le mètre carré (un peu plus de 2000 francs mensuels pour 100 m2). Les loyers sont régulés par la Ville de Lausanne, mais celle-ci ne les subventionne pas. Les appartements sont loués à prix coûtant, ils sont donc plus abordables que sur le marché spéculatif, mais demeurent plus chers que dans le secteur subventionné. «Cela limite le brassage social, contrairement à Genève, où la loi nous permet de construire des habitations mixtes», reconnaît Dario Tacheta. Il précise que la Municipalité s’est réservé l’attribution de quatre appartements et que la Codha dispose d’un droit de superficie pour 90 ans. La Ville demeure propriétaire du terrain. «Nous versons chaque année une rente foncière qui équivaut à 5% de sa valeur. Au bout du compte, nous aurons payé 4,5 fois la valeur du terrain. C’est donc une opération intéressante pour la Ville, qui garde la maîtrise du foncier tout en rentabilisant le terrain que nous occupons», détaille le responsable de la maîtrise d’ouvrage.
«On ne veut pas être un îlot!»
L’affectation du studio a permis d’apporter un peu de mixité: les habitants ont décidé de le louer à Semere Berhe, réfugié Erythréen de 19 ans. Il vient d’obtenir son permis et apprécie le calme de Chailly, après une année de promiscuité en foyer pour mineurs. «Ici, je peux mieux me concentrer sur mes cours», confirme Semere, qui envisage un apprentissage en mécanique.
La coopérative ne risque-t-elle pas de se replier sur ses occupants et leur approche singulière de l’habitat? «On ne veut pas être un îlot!» proteste Josette. «Nous avons à cœur de nous intégrer dans le quartier. J’ai l’espoir que nos projets collectifs (lire ci-dessous) seront ouverts sur l’extérieur», soutient Steven. «On s’intègre à un environnement de PPE qui ne connaissent pas le modèle coopératif. A nous de les rassurer et de faire le premier pas. Nous cherchons plutôt à faire tomber les barrières», conclut Alain.
Voiture ou vélo?
La question des voitures est centrale. Et sensible. Elle a même contribué à retarder
la construction des deux immeubles coopératifs, bloquée pendant de nombreuses années du fait des recours du voisinage. «Depuis le début, j’ai déposé pas mal d’oppositions contre ce projet, confirme une habitante du quartier, qui préfère rester anonyme. Le problème, c’était surtout les places de parc. J’avais peur qu’ils soient tentés de faire des manœuvres sur nos places à nous. Mais on s’est arrangés et ça s’est bien terminé. Ils ont même ouvert un chemin sur leur terrain pour nous permettre d’aller jusqu’au bus.»
Ils sont très écolos, ils ont des vélos
De fait, la coopérative voisine ne compte que sept voitures pour 13 ménages, un ratio aux antipodes de celui de la plupart des PPE. «Notre idéal serait de passer à quatre ou cinq véhicules en incitant au partage», précise Alain Kilchenmann. «Ils ont une servitude de passage, mais pas de parcage, ajoute Michel Barraud, qui vit dans la PPE voisine. C’est vrai qu’ils n’ont pas assez de place pour le retournement. Mais ils sont très écolos, ils ont des vélos. Il y a beaucoup d’enfants, mais ils ne sont pas trop bruyants. C’est bien, leur arrivée dans le quartier. Ça apporte du changement.»
S.SO.
La coopérative en pratique
Conditions
Tous les locataires doivent être membres de la coopérative, c’est-à-dire avoir acquis une part pour un montant de 100 francs, payer leur cotisation annuelle et avoir versé 5%
de fonds propres (soit environ 25 000 fr. pour un 4,5 pièces de 100 m2), qui leur seront restitués en cas de départ. Pour les habitants de quatre appartements réservés par la Ville
de Lausanne, cette dernière met les fonds propres.
Loyer
Il se situe entre 250 et 260 CHF annuels par mètre carré pour tous les appartements (charges non comprises). Le montant définitif sera ajusté au coût final du projet.
Autogestion
Les deux immeubles de Chailly sont gérés par une association à présidence tournante. Outre les travaux d’entretien classiques, une part du budget est réservée à la vie sociale et aux projets à réaliser. Les idées ne manquent pas: créer une place de jeux; se répartir la garde des enfants; organiser un Pédibus qui pourrait être proposé aux voisins du quartier, tout comme les cours de cuisine pour enfants qui se tiendraient dans la salle commune; choisir des arbres, fruitiers ou non; opter pour un jardin partagé ou pour des parcelles individuelles; planter des haies, de thuyas ou de framboisiers; partager les véhicules…
Samuel Socquet
Reportage paru le 18 août 2016 dans le quotidien 24 heures.