L’élevage serait responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, selon un rapport de la FAO. Quelle est la nature de cet impact environnemental ? Quelles solutions peuvent être envisagées ? Exemples : la réduction du cheptel des vaches laitières, la réorganisation de la production de porcs ou le changement des habitudes alimentaires.
À l’échelle mondiale, l’élevage émet 18% des gaz à effet de serre (GES), responsables du réchauffement de la planète. Soit plus que le transport, affirme un rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) au titre évocateur : L’ombre portée de l’élevage (FAO, 2009).
Parmi ces émissions, on trouve bien sûr le CO2, lié au labour, au carburant et à la déforestation – l’élevage extensif est ainsi la principale cause de déforestation de l’Amazonie. L’élevage émet aussi d’autres gaz tels le méthane (dû à la digestion des ruminants et au stockage de leurs déjections), le protoxyde d’azote (lié aux engrais issus de la pétrochimie) et les fluorocarbures (réfrigération).
CO2 mais aussi méthane, protoxyde d’azote, fluorocarbures…
Or, le pouvoir de réchauffement global de ces trois derniers gaz est bien plus élevé que celui du CO2 : 72 fois plus pour le méthane (sur 20 ans), 300 fois pour le protoxyde d’azote et plusieurs milliers de fois pour les fluorocarbures. Cela fait dire à Robert Goodland, conseiller en environnement à la Banque mondiale, qu’« il est plus efficace mais aussi plus rapide d’agir sur l’élevage que sur les énergies renouvelables ».
Outre ces GES, l’élevage génère près de 70% des émissions mondiales d’ammoniaque, responsable des pluies acides. La viande est produite à 60% dans les pays du Sud avant d’être exportée, ce qui engendre des émissions de carbone supplémentaires qui s’ajoutent aux 18% calculés par la FAO. Enfin, dans de nombreux pays, les animaux à viande sont élevés dans des hangars de zones urbaines, près des consommateurs mais loin des centres de culture.
Cette séparation entre l’élevage et la terre a plusieurs conséquences. D’une part, elle empêche la valorisation des déchets, qui traditionnellement servent à fertiliser les sols cultivés : faute de pouvoir retourner à la terre, les déjections animales de l’agriculture industrielle finissent dans les fosses ou les cours d’eau et donc aggravent la pollution locale, notamment des nappes phréatiques. D’autre part, le cycle naturel qui relie l’animal à son sol étant rompu, la fertilisation des terres agricoles dépend totalement des engrais de synthèse, dont la production plombe justement le bilan carbone de la filière agricole… Selon les conclusions de la FAO, cela est un peu moins vrai pour le secteur laitier, bien mieux rattaché à la terre que l’élevage extensif.
11kg de soja = 1kg de viande
Le secteur de l’élevage est donc appelé à se transformer, d’autant qu’il est lui-même victime du réchauffement climatique. Pour inciter les consommateurs à changer leurs habitudes, l’Estonie a introduit une taxe sur la viande, censée compenser l’émission de méthane des bovins, indique Peter Tom Jones, directeur de recherches à l’université de Louvain et coauteur avec 21 experts du livre La vérité sur la viande (Les Arènes, 2013).
Une solution préconisée dans cette étude serait de mettre la planète au régime végétarien. En effet, il faut 11 kilos de soja pour obtenir 1 kg de viande de bœuf, dont la production nécessite 1000 fois plus d’eau. Non seulement l’élevage accapare 70% des terres agricoles, mais il consomme plus de protéines qu’il n’en produit : 77 millions de tonnes de protéines végétales, comestibles par l’homme (soja, blé…), sont nécessaires pour générer 58 millions de tonnes de viande.
Tous végétariens?
À l’échelle mondiale, pourtant, l’injonction végétarienne pour raison climatique n’a pas tellement de sens. D’une part, elle ne change rien à la production d’œufs et surtout de lait. D’autre part, si un Français consomme 250 g de viande par jour et un Américain 340 g (soit plus de 3 steaks hachés), la ration carnée d’un Indien n’est que de 14 g par jour (moins d’un steak par semaine).
Les populations aisées de la planète ont bien tendance à surconsommer viande et graisses animales, mais celles qui souffrent de sous- ou mal-nutrition auraient au contraire besoin d’en manger davantage. Si chaque habitant consommait 90 g de viande par jour, comme le recommande l’École de santé publique d’Harvard, l’émission de GES diminuerait de près de 40%.
Signalons aussi que l’élevage du Nord peut générer des bouleversements à l’autre bout de la planète : 10% de la production animale européenne est exportée vers des pays où elle entre en concurrence avec des agricultures qui ne sont pas subventionnées…
Diminuer le cheptel
Outre ce rééquilibrage Nord-Sud en matière de consommation et de production, il existe des pistes pour réorganiser la production européenne. Notamment celles proposées pour la France par Solagro, cabinet d’études toulousain, dans un « scénario soutenable » de transition. Très documentée, cette étude baptisée Afterres 2050 conclut qu’il est possible de diviser par deux nos émissions de GES, « sans rupture sociétale majeure ni baisse des subventions agricoles ».
Nous avons demandé à Luc Geffrault, éleveur de bovins à Messac, dans l’Ille-et-Vilaine, de réagir aux propositions de Solagro.
Un éleveur témoigne
Depuis 1986, Luc Geffrault élève des bovins à Messac, dans l’Ille-et-Vilaine. Il exploite avec trois autres personnes 70 vaches laitières sur une centaine d’hectares, soit une ferme de taille moyenne pour la France.
« Le système est aujourd’hui totalement incohérent »
Quand on lui présente les propositions de Solagro, Luc Geffrault se dit plutôt favorable à la diminution du cheptel français, tel quel le recommande l’étude Afterre 2050, qui préconise de diviser par trois le nombre de porcs élevés en intensif et d’augmenter la part de la viande sous label.
Il explique: « Pour moi, le système est aujourd’hui totalement incohérent. Presque toute la production de porcs se fait hors sol et ne respecte ni l’agronomie ni la durabilité des sols. Pourtant, le cochon peut avoir un impact positif en polyculture, car il apporte de la matière organique pour amender les terres. Nous en avons une trentaine, nourris avec le petit-lait des vaches et les céréales de la ferme. »
« Le cheptel est trop élevé, on le sait bien ! »
Il se dit aussi favorable à la recommandation de diminuer le nombre de vaches laitières : « Le cheptel est trop élevé, on le sait bien ! Si on veut diminuer notre impact sur les gaz à effet de serre, on n’a pas d’autre choix. »
Autre mesure : augmenter le temps de pâture pour valoriser les prairies, qui sont des puits de carbone. « Dans notre exploitation, on essaie de sortir nos vaches chaque jour pour paître, même en hiver. Cela nous permet d’avoir besoin de très peu de soja pour les nourrir. »
Quant au changement des habitudes alimentaires, c’est pour Luc Geffrault « une évidence. Depuis que je suis passé en exploitation bio, il y a 18 ans, je consomme moins de viande et je m’en porte mieux ! Il y a un énorme travail de sensibilisation à faire auprès des consommateurs, si on veut éviter les catastrophes vers lesquels on s’achemine dans l’agriculture », conclut l’éleveur.
L’agriculture, secteur stratégique
À l’horizon 2050, si rien n’est fait, la consommation de viande augmentera de 200 %, celle en lait de 250 %. Soit un doublement des gaz à effet de serre issus de l’élevage, incompatible avec un objectif de limitation à 2°C du réchauffement de l’atmosphère. Ces conclusions de la FAO sont connues depuis 2006. Or, malgré ces données alarmistes, l’agriculture ne fait toujours pas partie des négociations sur le climat.
Lobbies et sécurité alimentaire
Outre le lobbying intense des semenciers et de l’industrie pétrochimique, dénoncé par toutes les ONG, le secteur est stratégique car lié à la sécurité alimentaire. Bien que l’élevage ne tienne pas de rôle majeur dans l’économie mondiale (il génère moins de 2 % du PIB mondial), il représente 40 % du PIB agricole mondial et génère 1,3 milliard d’emplois. Enfin, il est un moyen de subsistance pour près de un milliard de personnes vulnérables, qui, grâce à l’élevage, peuvent survivre dans des zones rurales marginales (arides, difficiles d’accès ou impropres à la culture).
Au total, c’est donc près du tiers de la population mondiale qui dépend de l’élevage… Malgré tout, selon les experts de la FAO qui rejoignent ceux des experts de Solagro, « il est possible de réduire l’impact climatique de l’élevage de façon significative à un coût raisonnable ».
Samuel Socquet
Article paru le 10.12.2015 dans l’hebdomadaire Réforme n° 3636.