La TV supprime du religieux

Un arbitrage budgétaire condamne trois émissions de RTSreligion, coproduites par les Églises, à disparaître des programmes de la radio et de la télévision suisses.

Le 17 novembre dernier, la Radio Télévision suisse (RTS) a annoncé une baisse de plus de 40 % du budget alloué à RTSreligion, la rédaction spécialisée dans le traitement du fait religieux sur les radios et télévision suisses de service public. Soit la suppression d’une émission de TV, Faut pas croire, qui chaque semaine « questionne l’humain dans toutes ses dimensions », et la disparition de deux émissions de radio, Hautes fréquences (documentaires sur l’éthique et les spiritualités) et À vue d’esprit, diffusé chaque jour sur Espace 2. Un tollé a suivi l’annonce de la RTS, qui a rassemblé contre elle une forte mobilisation.
Baisse des recettes
Ces coupes budgétaires font suite à une décision du tribunal fédéral, qui a estimé que les contribuables ne devaient plus payer de TVA sur la redevance. Pour la RTS, la perte est de 11,4 millions de francs, soit 3,5 % de son budget. 70 postes devraient être supprimés. « Nous avons été confrontés à des restrictions budgétaires il y a peu et on est déjà sur l’os : il n’y a plus de gras à enlever nulle part, explique Gilles Pache, directeur des programmes de la RTS. Il n’était pas question de réaliser des économies linéaires, en diminuant chaque poste de 3,5 %. Au total, j’ai dû économiser 6,9 millions. Je ne voulais pas punir le plus grand nombre, mon choix s’est naturellement porté sur les programmes qui concernent le moins de téléspectateurs. Il s’agissait aussi de viser les thématiques qui, comme les religions, pourraient continuer à être traitées dans d’autres émissions. » À l’issue de cet arbitrage, des coupes entre 1 et 2 millions de francs dans les budgets divertissement, musique, jeunesse, fiction produite. RTSreligion devra, elle, composer avec une coupe de 1,2 million à partir de 2017, soit une baisse de 43 % de la contribution publique.

Nuage dans le Monseni, (Catalogne), Espagne © Samuel Socquet
Nuage dans le Monseni, (Catalogne), Espagne © Samuel Socquet

« Actuellement, les émissions RTSreligion représentent sept heures dix de programmes par semaine. Il en restera trois heures dix. La RTS veut nous renvoyer à la sacristie : elle ne garde que les cultes et les messes et supprime les émissions d’actualité sur le fait religieux ! », s’insurge Bernard Litzler, le directeur de Cath-info. Cet organisme, qui dépend de l’Église catholique, cofinance pour 35 % la rédaction de RTSreligion avec son homologue protestant, Médias-pro, financé quant à lui par l’Église réformée du canton de Vaud. « Pour moi, cette décision est une myopie de management », juge Michel Kocher, le directeur de Médias-pro, qui rappelle que les Églises financent plus de 7 postes de journalistes, pour une équipe de 12 personnes.
Une co-production Eglises-Etat
Ce partenariat entre deux Églises et une télévision publique, associées depuis 1964 pour coproduire des programmes, « est unique dans l’espace francophone », souligne Jean-François Mayer, universitaire fribourgeois, fondateur de l’Institut Religioscope, qui rappelle que la Suisse n’est pas un pays laïc – la Constitution, écrite en 1999, commence par ce préambule : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ».
« Chez nous, poursuit l’historien, Églises et État collaborent selon des modalités cantonales : on est habitués à travailler avec nos particularismes, mais on vise le consensus. Face aux religions non historiques comme l’islam, les Églises chrétiennes se voient d’ailleurs comme médiatrices. Elles ont plutôt tendance à rechercher le dialogue. La décision de la RTS me surprend, car elle remet en cause l’existence d’une rédaction spécialisée dont on a besoin pour analyser le fait religieux. Surtout aujourd’hui, à l’heure des fanatismes ! »
De fait, l’annonce de la suppression des trois émissions est tombée quelques jours après les attentats du 13 novembre à Paris. Or, bien que cofinancée par les Églises, RTSreligion suit une ligne éditoriale non confessionnelle. Ses journalistes traitent tout autant du désir, de littérature, des réfugiés que du mouvement chiite. Ils ont aussi réalisé une web série au ton décalé qui déconstruit les clichés sur l’islam en Suisse.
Un séisme
Au sein de la rédaction de RTSreligion, dont la moitié des effectifs pourrait disparaître, l’annonce des coupes budgétaires « a été un séisme », se souvient Emmanuel Tagnard, producteur catholique de Faut pas croire. Il s’attendait à des réaménagements, mais pas à voir remise en question l’existence même de sa rédaction. « On a tous le sentiment que la RTS se tire une balle dans le pied. L’équipe œcuménique, que je dirige avec un coproducteur protestant, traite de toutes les religions, de manière très affûtée. Certes, comme l’affirme la direction, le religieux peut être traité dans les autres programmes. Mais on perdra la subtilité et le recul qui font la spécificité d’une rédaction spécialisée. Avec nos émissions, nous offrons aussi un espace de dialogue interreligieux. Si la RTS le supprime, elle risque de se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du mandat de service public qui lui a été confié. »
Une opportunité
Brutalement mises devant le fait accompli, on ignore si les Églises compenseront la coupe budgétaire ou si elles diminueront leur propre apport, ce qui signerait la fin de RTSreligion. La direction des programmes, quant à elle, préfère voir en la situation « une opportunité de repenser le traitement du religieux », et dit tenir à ce partenariat « qui fonctionne bien ». Mais du côté de Médias-pro et Cath-infos, la confiance en a pris un coup. Les négociations devraient commencer cette semaine. Des pistes sont évoquées, comme le transfert à la radio des retransmissions d’offices.

Samuel Socquet
Article paru le 21.01.2016 dans l’hebdomadaire Réforme n°3641.

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