Un rêve d’autarcie sur une presqu’île

Ilot hors du temps, Les Jardins du Marais vibrent au rythme du potager et de ses saisons. Placé sous les auspices de la décroissance, ils témoignent d’un engagement radical pour la culture vivrière et le respect d’une écologie engagée. Visite d’un lieu qui invite à suivre son idéal, contre vents et… marais. 

Les Jardins du Marais sont situés au cœur du Parc naturel régional de Brière, un ensemble de marais nichés entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine. Plus précisément à Hoscas (Herbignac), en Loire-Atlantique. Seuls 20 km séparent le jardin de La Baule ou de Saint-Nazaire, et pourtant, ici, on se sent loin, très loin de la ville. Voire de la civilisation : îlot hors du temps, le jardin est placé sous les auspices de la décroissance et de la lutte pour l’autarcie.

Les Jardins du Marais, Presqu'île de Guérande, Annick Bertrand, in memoriam
Une des phrases-clef des jardiniers et de leur philosophie. Annick Bertrand, in memoriam. 

Malgré l’opiniâtreté nécessaire pour s’adapter à un biotope exigeant (zone régulièrement inondée, terre riche mais acide…), le jardin dense et flamboyant est une invitation à la rêverie poétique. En amont du potager, le visiteur contourne une roulotte, vestige de la jeunesse nomade du jardinier et maître des lieux, Yves Gillen, qui y vit toujours ; il l’a agrandie d’une cuisine qui domine les rangées de légumes. Dans l’un des deux étangs, l’île aux nains jouxte l’île aux fées; quelques sculptures de joncs semblent flotter sur l’eau ; sur l’autre rive, on aperçoit une chaumière atelier d’artiste au toit recouvert de roseaux ; à son faîtage poussent des graminées.

Des sentiers vieux de 5000 ans

Des petits chênes sont maintenus en boule ou en nuage, façon art topiaire: depuis trente-cinq ans, ils sont taillés à la main deux fois par semaine. Leur couleur contraste avec la tourbe noire des sentiers qui, à un mètre de profondeur, date de 5 000 ans. Des ponts de bois enjambent les canaux et chaque hiver, un nouveau canal est creusé à la pelle, car les engins à moteur sont ici proscrits : « Par respect pour le silence des végétaux et pour pouvoir écouter les grenouilles », explique Yves Gillen. Même la tondeuse, qu’il passe dans les allées plus de trois cents fois par an, est manuelle.

Les allées de tourbe sont plantées de bambous sculptés par les visiteurs.

Des conseils en jardinage bio

Des chaises sont installées à l’ombre d’une glycine, taillée en arbre, près d’un citronnier à la floraison odorante. Yves Gillen y accueille lui-même les visiteurs à qui il prodigue moult conseils issus de sa pratique du jardinage bio. Comme s’il recevait des amis, il raconte l’œuvre d’une vie. Tout commence en 1975. Après cinq années passées à parcourir la France en roulotte, il décide avec sa femme de faire de cette tourbière un jardin vivrier. Très naturellement, ils commencent par le potager, « tout près de la cuisine pour être les premiers à se servir », précise-t-il.

Potager, Jardins du Marais, Hoscas - Herbignac (44)
Aux Jardins du Marais, le potager est placé tout près de la cuisine, « pour être les premiers à se servir ! »

« Le potager, c’est une démarche politique »

Et puis, « un potager, c’est une démarche politique qui consiste à faire pousser sa nourriture sans rien demander à personne: 100 m2 couvrent environ 75 % des besoins d’un régime végétarien ». Il confesse pourtant que lorsqu’il a commencé à planter ses premiers légumes, il y a quarante ans, il n’y connaissait rien. « C’est mon jardin qui m’a tout appris », assure-t-il. Un bon enseignant, puisqu’Yves Gillen est par la suite intervenu comme formateur au Potager du Roi, à Versailles. Ici, les fleurs côtoient les légumes, car « un potager doit devenir un jardin d’ornement et un jardin d’ornement peut devenir un potager ».

« Pour être heureux, il faut jardiner. Ne serait-ce qu’un quart d’heure par jour. »

Des petits pois grimpent sur une clématite et les hémérocalles côtoient les courgettes. Au milieu des carottes, deux rangs de poireaux, dont l’odeur permet d’éloigner les mouches des carottes.
La quête d’autarcie peut prendre des accents d’une âpre lutte, mais elle a pour corollaire une liberté à laquelle Yves Gillen est viscéralement attaché, tout autant qu’à son jardin, comme en témoigne sa devise : « Pour être heureux, il faut jardiner. Ne serait-ce qu’un quart d’heure par jour. »

Samuel Socquet

Article paru en septembre 2015 dans Plantes & Santé n°160 • Un livre à lire : Les affranchis jardiniers, un rêve d’autarcie, de Annick Bertrand-Gillen (éd. Ulmer) • Ce jardin biologique a été primé plein de fois: l’Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture lui a discerné une mention «Coup de Coeur», il a été primé par la Société Nationale d’Horticulture de France (S.N.H.F) en 2011 et depuis 2014 il a reçu le label Jardin Remarquable • Lire aussi l’articleLes 5 lois du potager selon Yves Gillen


La renouée du Japon (Fallopia japonica)

Herbacée géante à larges feuilles, souvent croisée le long des fleuves, la renouée du Japon peut atteindre 3 m de hauteur et ses feuilles peuvent mesurer jusqu’à 20 cm. La croissance de ses tiges au printemps est spectaculaire (plus de 4 cm par jour), mais ses petites fleurs blanches et parfumées ne surgiront qu’à l’automne. Familière des bords de route et des terrains en friche, elle est souvent considérée comme une invasive. En Asie, on la cultive pour ses propriétés médicinales alors qu’aux Jardins du Marais, la renouée rejoint l’assiette : ses jeunes tiges, creuses, se mangent comme les asperges.
S.SO.


Les azalées (Azalea)

De la famille des rhododendrons, ces arbustes rustiques à la floraison généreuse apprécient l’ombre et la mi-ombre. Originaires d’Asie, les azalées recouvrent certaines montagnes japonaises. Ses fines racines exigent un arrosage abondant (mais elle craint l’eau stagnante) et un sol acide. Aux Jardins du Marais, on en trouve de nombreux spécimens dans l’Allée des azalées, qu’Yves Gillen a plantée dans un sous-bois aux massifs surélevés. Il les a choisies car elles sont adaptées à son biotope (humidité, terre acide). Un spécimen d’azalée de Chine résiste particulièrement bien aux inondations.
S.SO.
 

 

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